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Note de derrière la clôture - 01.03.12

Je n'ai pas vraiment le temps de penser, avec toutes ces choses pratiques à régler avant mon départ, mais j'espère juste que, quand je serai dans mon train, lundi matin, l'aventure commencera, et dans ma tête, je ferai table rase du reste pour essayer d'être dans cette disponibilité aux choses et aux gens que j'espère acquérir au mieux. Le reste m'importe peu.  

Ce qui compte pour moi, c'est ce morceau de vie sur les chemins, en solo, et en même temps en rencontrant mille personnes, mille paysages, mille choses... Me laisser surprendre. 



On sait si peu de choses qu'on décide au finale de borner un petit périmètre qui constitue un horizon de sa vie et donne la sensation de maîtriser quelque chose. 

Mais qu'y-a-t-il juste derrière la clôture ?

 

Apprenant la lenteur et la disponibilité, la route "dispose" le marcheur à se faire preneur de son.

Extraits de mon carnet de notes (tenu en route - 2012) :

 

1000 km à pied et à micro -   Notes de son et de route

 



Note du départ - 5 mars 2012

5h25 à l'horloge SNCF sur le quai de la gare Perrache. Attendre le train pour le Puy-en-Velay. Rendez-vous à 8h30, là-bas, avec mon transporteur scolaire qui me rapprochera de la source de la Loire. Mon point de départ. Tous les lundis matin, il remonte son car à vide dans les montagnes, après avoir déposé les gamins au Puy. En venant jusqu'à la gare, j'ai croisé une pancarte"invicta", une marque de "poêle à bois"."Invicta", ça veut dire "invaincue" en latin. J'ai pensé que c'était un signe et que ça voulait dire que j'arriverais à Nantes. J'ai pris dans ma poche le petit mot que mon amie Laura m'a laissé sur la poignée de la porte : "je suis fière de toi, fonce", et je l'ai mis dans la poche intérieure de mon sac à dos.

 

Note du premier réveil - 6.03.12

Quand je me suis levée, tout était recouvert de neige. Et je me suis dit que la route m'avait fait un cadeau.

J'irai donc trouver la source de la Loire sous la neige. 



 

Note de Les Sauvages (Lafarre). Note de la voix qui ne ment pas - 9.03.12

 

 

Dormi chez Paul et Raymonde. Un couple de paysans. Paul a un air malicieux. Il a soixante-cinq ans et roule délicieusement les "R". Ils me racontent rapidement des bouts de leur vie. On parle politique aussi. Peut-être l'influence de cette période électorale ? Ils voient les choses très noires. Paul n'a pas d'ordinateur, pas de téléphone portable. Il a vécu à la ville, au Puy-en-Velay, quelques années mais il ne supportait pas... Alors ils sont revenus s'installer à la campagne. À Les Sauvages, hameau de quatre maisons à la lisière de la Haute-Loire et de l'Ardèche. "Depuis 83, que je suis ici" (...)

À la fenêtre, la vue sur la Haute-Loire est magnifique. Les monts de l'Auvergne s'étalent, mi-blanc de neige, mi-vert. "Faut pas croire, c'est beau, mais faut y vivre aussi" me dit Paul comme une mise en garde contre l'image tronquée que je peux en avoir. (...)



(...) Il fait frais ce matin et la route m'attend, mais je passe encore trois quarts d'heure avec mon Paul qui me restera longtemps dans le fond du coeur, je crois. Cette voix est incroyable et parle vrai. Il m'a appris beaucoup en parlant à coeur ouvert avec la citadine que je suis, dans le fond de cette étable de Haute-Loire. Peut-être est-ce son opération au coeur qui l'a rendu ainsi ? Paul me dit avoir subi un triple pontage il y a quelques temps. Mais non, je ne crois pas, ici, le coeur est ouvert et parle d'or par nature.  



 



 



 

 

Apprendre à "écouter" plutôt qu'à "prendre du son" -  - Note de Goudet. 10.03.12

Goudet est encaissé au fond de la vallée de la Loire sauvage. Il faut descendre d'un côté pour y accéder, et nécessairement remonter de l'autre. La montée sera pour demain, en direction de Coubon, par saint-Martin de Fugères. Ici se croisent les chemins de la Loire et du  "Stevenson". Le GR3, premier GR de France et le GR70, tracé dans les pas de l'écrivain qui le fit avec son âne.  Ici, à Goudet, il y a déjà un petit air de printemps. J'ai perdu 700m de dénivelé et suis maintenant en fond de vallée. C'est cela aussi la marche, sentir les saisons qui passent sur la peau. Il y a deux jours encore, j'ai connu la burle, le vent d'ici qui rabat la neige dans la figure et qui brûle. J'étais emmitouflée dans ma pèlerine et ressemblais à un grand corbeau noir. J'ai passé l'Ardèche, et le climat âpre des montagnes de Michel, de Solange et de Bernard est maintenant loin derrière moi. Quelques kilomètres auront suffit à faire d'eux un souvenir. Ici, les kilomètres séparent des climats. (...).

En réécoutant les premiers sons que j'ai pris, c'est cela que je me dis : être toujours plus à l'écoute de la situation. Ne pas chercher à "prendre" du son mais plutôt à "écouter", à chaque instant, pour suivre ce qui se passe dans le casque comme un fil d'Ariane. 

Descendre ce fil ténu comme je descends la Loire, c'est-à-dire en accueillant toujours l'imprévu, ce qui vient. En cherchant à rencontrer, à découvrir, me laisser surprendre. J'apprends sur cette route à ouvrir mon corps et mon coeur à l'attente, l'attente du merveilleux qui surgit toujours ici où là au bord de la route....

C'est avec ce corps et ce coeur façonnés par la route que je veux prendre du son, pas autrement. 

En cela, ma route est une façon d'apprendre lentement à prendre le son autrement. 

A l'écouter venir. 

A simplement être là. 

A simplement créer la situation pour qu'il puisse advenir, se déployer librement.  (...)

Continuer à essayer de capter cela, l'infime. Les rêves de ceux que je rencontre. Les sensations. Ce qui hante les silences. Cela m'intéresse plus que tout. Mais il me faudra encore beaucoup apprendre pour y parvenir. 

J'espère que la marche m'y aidera. La marche est cette école de l'attente, de la lenteur, du silence, de l'écoute.

Rien que ma solitude au long des chemins pendant mille kilomètres.



Voilà un moment rêvé pour apprendre à mon corps à me faire "preneuse de son".  

 





 



 

 

Note de Valprivas - 14.03.12

 



 

Temps de printemps. soleil qui tape. De Retournac à Valprivas, les chemins sont très escarpés. Les vallées sont encaissées par ici. 

Me suis réveillée ce matin frigorifiée dans le mobile-home où Gérard m'a installée. Les écarts de température entre les journées et les nuits sont très importants en ce moment dans la région. A 8h, j'étais prête avec les micros pour aller voir les brebis de Gérard. (...)

Natacha s'en occupe. Je reste longuement auprès d'elle. Natacha doit avoir la quarantaine mais elle en fait dix de plus. C'est une femme qui a le visage fermé mais le coeur ouvert. Elle a l'air difficile mais a sans doute eu la vie rude. Elle vit seule avec sa fille ici, dans la maison juste à côté de celle de Gérard. Elle m'a expliqué qu'avant elle vivait dans une caravane avec sa fille sans eau ni électricité, et elle s'occupait de brebis dans le Midi. Elle est venue en Haute-Loire, mais elle dit qu'ici aussi, c'est la sécheresse. On est à la mi-mars et l'état de sécheresse des terres l'inquiète. Natacha a un accent étranger. Gérard m'a dit qu'elle était de Berlin. Je sais peu de choses d'elle et de sa fille Marcela, mais je la vois se lancer avec détermination dans l'enclos des brebis pour leur donner à manger alors que ces dernières la poussent dans tous les sens pour accéder plus vite au seau de nourriture. Natacha est belle dans cet enclos miteux. Elle donne le biberon aux agneaux, elle donne le foin puis les graines. Un peu plus tard elle ira s'occuper de la volaille. Elle m'explique en fumant une cigarette roulée juste derrière l'enclos  qu'elle économise l'eau chez elle, surtout quand elle voit que la sécheresse est presque déjà là, et que cet été, elle ne sait pas où elle pourra mener paître les bêtes. Elle me raconte qu'un ami du sud fait déjà une heure et demie de marche en ce moment pour faire paître ses brebis, et qu'il va déjà sur des terrains qui sont d'habitude ceux de la fin de l'été. Elle s'inquiète pour la suite. Elle s'inquiète mais ne s'apitoie pas. Natacha est comme ça. Elle fonce. Elle sait ce qu'elle veut. Elle a de grands cernes et les cheveux blonds décolorés, de la force dans les bras et de l'amour pour les bêtes. On ne s'y méprend pas. (...)



En partant de la ferme, ma gourde n'était pas pleine ce matin. j'avais une petite étape en perspective mais beaucoup de dénivelé. Le soleil cognait et je me suis retrouvée à sec avant d'arriver. En chemin pour Valprivas, assoiffée, j'ai demandé de l'eau à une dame sur le bord de la route, à Les Côtes. Il y avait peu de maisons sur le chemin et beaucoup étaient fermées. Des maisons de vacances principalement. La petite dame est pleine de bonté et en discutant, elle me propose finalement de rester prendre le café. Me voilà à faire une halte dans sa cuisine. Elle me sort un paquet de biscuit et me raconte qu'elle est née dans cette maison. C'est devenu sa maison de vacances par la suite. Elle a travaillé à Roanne et s'y est installée. Mais dès qu'elle peut et que les congères ne bloquent pas la route, elle vient ici. Elle me raconte que ce bout de route que je m'apprête à faire pour rejoindre Valprivas, elle le faisait tous les jours, quand elle était gamine, pour aller à l'école. cette halte est merveilleuse et j'aime sa voix douce et sa gentillesse toute simple qui lui a fait ouvrir la porte à la petite marcheuse que je suis. 

 

Note de la légereté de la route : se délester . 20.03.12

Ce matin, à mon réveil, la neige a de nouveau recouvert le paysage à ma fenêtre. Depuis la traversée des monts du Forez, c'est devenu un rituel. Je me couche après avoir rejoint un village où la neige n'est pas encore tombée, un peu moins haut qu'à m'on étape de la veille, et le lendemain, au réveil, je me retrouve en pleine neige. Le plafond neigeux a encore baissé. J'ai préparé mon sac et suis descendue, deux étages en desous de ma chambre, à la chapelle de l'oratoire où quatre soeurs malgaches sont déjà rassemblées, en prière. Je me plie aux coutumes de mes hôtes partout où je passe. C'est une règle que je me suis donnée. Puisque ma route passe par ce monastère qui m'accueille une nuit, j'assiste donc aux temps de prière. Je profite. Les voix des soeurs malagaches qui récitent les prières dans un français à l' accent rocailleux me plaisent. (...)



Ce matin, dans le grand brouillard et la neige qui ont rendu à la forêt des allures de conte merveilleux, j'ai pris la petite route qui descend depuis l'hermitage. J'ai finalement retrouvé la départementale en direction de Viscomtat puis ai coupé par la route vers le hameau du Grand Bois. Là-bas, j'ai continué par le chemin au travers de la forêt.​ En arrivant sur Chabreloche, j'ai passé sous l'autoroute. Charbeloche est une petite ville en bordure d'autoroute. Cela faisait longtemps que je n'avais pas eu l'impresssion de trouver l'air de la ville. 

 

Notes de Blois -  10.04.12



Je me rends compte, quand j'arrive à la ville, que je suis inadaptée. Inadaptée à la rapidité, la rentabilité. J'arrive à la ville avec ma lenteur, avec mes deux pieds, j'arrive à la ville en traversant ses abords. J'y pénètre de l'extérieur vers le coeur. Je n'arrive jamais en bus, en voiture ou en train. Et puis je me rends compte que je suis en ville. Les regards sur moi changent. Plus méfiants, plus inquisiteurs aussi. 

A Blois, première impresion : malaise. Je suis entrée dans une maison de la presse pour y choisir une carte pour poursuivre ma route. J'hésité entre une carte IGN et une carte de la Loire à vélo. Au bout de 5 minutes le commerçant m'arrache des mains la carte de la Loire à vélo que je venais de déplier pour me rendre compte de son détail et me dit très sèchement, "ici, on ne fait pas la lecture des cartes". Au début, je ne comprends pas très bien, je reste soufflée. J'étais dans cette lenteur qui est devenue mon rythme propre, en train de rêver sur mes cartes, de choisir la bonne, j'ai la journée devant moi. Il hausse le ton me dit qu'il m'observe depuis 5 minutes. Je suis révoltée mais je n'ai pas envie de me battre. Je sors et m'en vais acheter la carte ailleurs. Mais je suis ébranlée par cet incident anodin. Est-ce parce que je suis jeune et avec un sac au dos ? Est-ce parce qu'il y a un trou à la cuisse de mon jean, celui que je porte tous les jours depuis un mois que je suis partie ?  Est-ce donc qu'à la ville la lenteur n'est plus autorisée ?

 

 

 

​​
Qu'est-ce que le voyage sans ces rencontres ? Pour moi bien peu. J'apprends tout des autres, à chaque détour de la route et je m'émerveille de passer un moment en compagnie de Delphine et Benôit à Huisseau, en compagnie des pèlerins espagnols de Santiago, ou de Jean et Gérard, sur le bord de la route pour Courbouzon.  Voilà le vrai bonheur de la lenteur et du temps que je me suis donnée : j'ai le temps de prendre du temps avec chacun. Je n'ai pas d'horaire, je prends le temps de la rencontre.(...)​​​​​​​​​​​

Comme on est fragile et ballotée au gré des événements, aussi, sur la route. J'en parlais la veille avec Cécile et Sylvain, qui m'ont ouvert leur porte à Mont-près-Chambord. Cécile et Sylvain ont la trentaine et travaillent dans le développement durable. Ils m'ont raconté un voyage a vélo qu'ils ont fait il y a trois ans, à travers l'Europe, pendant 5 mois. Ils m'ont fait rêver. Mon aventure les fait rêver aussi. On a parlé rêves, voyages, rencontres.​​​​​​​​

​​Note de Bréhémont - 19.04.12



La route rapproche infiniment de soi. Elle met "en phase", comme on pourrait dire du son.

Elle rapproche infiniment de ses intuitions, d'une forme de sensibilité aux choses et aux gens que j'ai cherché à cultiver pour mes prises de son, au fil de ce feeling-là.

Je vis à ce rythme-là. 

 

 

Note de la fin de la route - 24.04.12

​

Je sais maintenant que des dix kilos qui m'accompagnaient,

rien n'était en trop, rien ne m'a manqué. Pas besoin de plus.



J'ai pris la route. 

J'ai pris le temps. Mille fois le temps. 

J'ai pris les sons. 

Je n'ai pas d'horaire, pas de rendez-vous, pas de port d'attache. 

Je vais. 

Au long de la Loire, avec mes micros en bandoulière. 

Mille bornes à pied et mille bornes dans le coeur

- et dans la tête aussi. 

Je vais au présent. 

Je marche. 

Je prends le son. 

Je suis là où je suis. 

 

 

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